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Corinne CAZ.

Bouddhisme et Franc-Maçonnerie

Dernière mise à jour : 22 janv. 2023

Planche lue le 03/12/2019 dans la R∴L∴ Collines d’Ombre et de Lumière, Orient de Lyon Croix Rousse, GLFF


Ici tout est symbole, là, tout est symbole aussi.

Je suis très heureuse d'avoir cette occasion de partager avec vous ce qui m’attire dans le Bouddhisme, ses points communs avec la Franc-Maçonnerie, et ce que la méditation apporte à ma démarche maçonnique. La Franc-Maçonnerie comme le Bouddhisme ayant de multiples déclinaisons, je me référerai à celles que je pratique, à savoir le Rite Français 1801 et la lignée tantrique tibétaine Kagyu. D’ailleurs dans les deux traditions, si la forme diverge d'une lignée ou d'un rite à l'autre, le fond reste le même et plus on avance, plus tout semble se rejoindre. Je remercie mes Soeurs et Frères de la Fraternelle « les Compagnons du Dharma » et Lama Jean-Paul du monastère Palden Shangpa en Bourgogne, qui ont éclairé de leurs lumières une première lecture de cette planche en octobre dernier. Enfin une pensée toute particulière à mon amie d’enfance Karin, devenue Lama et qui demeure mon lien principal avec le bouddhisme tibétain.


Je suis en recherche constante de moyens de m'améliorer, de trouver du sens à la vie, tourmentée comme beaucoup d'entre nous par le fameux « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » de Leibniz, décliné pendant ma jeunesse d'une manière plus prosaïque par Maxime le Forestier dans sa chanson « Ça sert à quoi, tout ça? Ça sert à quoi, tout ça? Il nous reste si peu à vivre »

J'ai donc erré longtemps entre divers courants philosophiques ou religieux, puis je me suis tournée vers la sophrologie, le développement personnel etc. A l’époque où je consacrais la majeure partie de mon énergie à élever mes quatre enfants tout en travaillant, mon amie Karin effectuait deux retraites de trois ans trois mois et trois jours dans le monastère de Kundreul Ling en Auvergne, sous la direction de Guendune Rinpoché, un grand Maître kagyu envoyé par le 16eme Karmapa. Cela m'a beaucoup impressionnée. J'ai réalisé en parlant avec elle et avec d'autres Lamas, que le Bouddhisme me donnait enfin des pistes satisfaisantes, et j'ai décidé d'approfondir ce courant de pensée. J'ai « pris refuge » encore plus tard, en 2010. J’ai été reçue Franc-Maçonne en 2014. Et maintenant si je suis toujours en quête de vérité, j'ai de bons outils pour travailler.


Le Bouddha historique a vécu il y a 2500 ans, et ses enseignements sont inspirés par l’hindouisme, encore plus ancien. Pourtant ils sont toujours d’actualité. D’après le Dalaï Lama, Le bouddhisme peut être vu comme une une religion dans le sens où il y a survie de l’âme, mais c’est aussi une philosophie, une psychologie, donc c’est un humanisme ». Il n’y a pas de Dieu créateur. On parle de « temps sans commencement ». Pas de fin non plus, mais l’aspiration à un état non-dualiste appelé Nirvana, autrement dit, à la réunion de ce qui est épars. Pas de prosélytisme : transmettre l'enseignement du Bouddha à quelqu'un qui n'y est pas préparé est considéré comme un acte négatif. Au contraire des religions monothéistes dans lesquelles il faut croire pour être sauvé, le bouddhisme prône le libre arbitre. Le Bouddha a déclaré : « Ne croyez pas mon enseignement parce-que c'est moi qui vous l'ai donné, mais mettez-le à l'épreuve de l'expérience et de la pratique et si vous le retenez, que ce ne soit pas par respect pour moi ». Cela n'est pas sans rappeler notre liberté absolue de conscience. Une grande tolérance : Les bouddhistes pensent que tous les êtres peuvent atteindre l’éveil, quelles que soient leurs religions ou leurs croyances, en cultivant amour, compassion, joie et équanimité sur leur propre chemin. Tous les êtres, même les plus vils, portent au fond d’eux-mêmes la nature de Bouddha. Il s’agit donc de développer un potentiel qui est en nous, ou encore de tailler notre pierre. Enfin le bouddhisme, à l’inverse des religions monothéistes, et comme notre rite français, est donc immanent. On est responsable de nos actes, aucun être supérieur ne va décider à notre place de ce qui est bien ou mal, nous punir ou nous récompenser. A nous de nous élever. Ce qui nous arrive, ce qu’il adviendra de nous, dépend de la loi de cause à effet, appelée aussi karma.


Le fondement du bouddhisme, ce sont Les 4 Nobles Vérités: Il s’agit de quatre constatations, posées à la manière d’un diagnostic:

  1. Tous les êtres vivants connaissent la souffrance.

  2. On peut identifier les causes de cette souffrance.

  3. Il existe un état dans lequel il n’y a plus ni douleur ni souffrance.

  4. Il y a un chemin qui permet d’atteindre cet état.


Ce chemin, c’est l’octuple sentier: 1 La compréhension droite 2 La pensée droite 3 La parole droite

4 L’action droite 5 Des moyens d'existence droits 6 L’effort droit 7 L’attention droite 8 La concentration droite


En cultivant ces qualités, on parvient à l’éveil, dit «état de Bouddha», ou «Claire Lumière ».

On est proche de l'idéal de perfection, de l'introversion et de la Lumière maçonniques.


La condition première pour pouvoir faire cela, c’est d'acquérir une « précieuse existence humaine, libre et bien pourvue », c'est à dire une vie humaine nous offrant le contexte et les capacités adéquats, autrement dit, d'être « libre et de bonnes mœurs ».


Comme l’engagement maçonnique commence par la réception, celui du bouddhiste commence par la prise de refuge.

Comme la tenue commence par le rappel de cette réception : « Soeur 1ere Surveillante, es-tu Franc-Maçonne ? - J’ai reçu la lumière », la pratique bouddhiste commence par le rappel de la prise de refuge :

« Je prends refuge jusqu’à l’éveil dans le Bouddha, le Dharma et la Sangha. Par le mérite qui résulte de ma pratique de la générosité et des autres vertus, puissé-je réaliser l’éveil pour le bien des êtres »

Le Bouddha n'est pas un être supérieur dont on demande la protection, mais un modèle auquel on s'identifie. Le Dharma, ce sont tous les enseignements du Bouddha et de ses disciples, et la Sangha, c'est l'ensemble des pratiquants, c'est à dire la fraternité. On peut relier cette prise de refuge à l'ouverture de nos travaux :


Que la sagesse nous guide - je prends refuge dans le Dharma Que la force nous soutienne – je prends refuge dans la Sangha Que la beauté nous inspire – je prends refuge dans le Bouddha


Nos tenues sont composées de rituel et de planches, les pratiques bouddhistes sont faites de méditation et d'enseignements.


Enfin toute pratique se termine par une dédicace :

« Par cette activité bénéfique, puissé-je obtenir l'omniscience, et, après avoir vaincu les ennemis nuisibles, puissé-je délivrer tous les êtres ballottés au gré des vagues de naissances, de maladies et de mort, dans l'océan du devenir »


Puissé-je obtenir l'omniscience : la lumière

Vaincre les ennemis nuisibles : l’ego, les passions

Délivrer tous les êtres : préparer par une activité incessante et féconde l'avènement d'une humanité meilleure et plus éclairée.


« L’esprit n’a pas de jambes, mais il court partout. L’esprit n’a pas de mains, mais il saisit tout. L’esprit n’a pas de bouche, mais il parle toujours. »


JP Schnetzler (1929-2009), psychiatre, bouddhiste et Franc-Maçon , a fait don de deux domaines à la congrégation tibétaine Karma Kagyu: Karma Migyur Ling à Montchardon en Isère en 1975, où il a terminé sa vie, et Karma Ling en Savoie en 1979. Il a ainsi contribué à la venue chez nous de grands Maîtres tibétains comme Lama Teunsang, maintenant âgé de 85 ans et responsable du monastère de Karma Migyur Ling depuis sa création. Dans la revue « Massonica » d'Avril 2005, JP Schnetzler a posé une question qui a particulièrement retenu mon attention: « La méditation peut-elle rendre opérative la franc-maçonnerie spéculative ?» Qu’entendait-il par là ? Dans son livre « la franc-maçonnerie comme voie spirituelle », il a consacré un chapitre entier à « la perte lors du passage de l'opératif au spéculatif ». Si j'ai bien saisi sa pensée, la maçonnerie opérative, celle des bâtisseurs de cathédrales, différait pour lui de la nôtre car il n'y avait pas de rupture dans et hors le temple. Les valeurs acquises étaient portées au-dehors grâce au travail dans une continuité naturelle qui prolongeait le chemin initiatique. On peut comparer cela aux tibétains qui tout en travaillant, récitent des mantras. A notre époque, laisser nos métaux hors du temple le temps de la tenue n'est déjà pas toujours facile. Alors, comment ne pas tous les reprendre en sortant, ou, tout du moins, comment les appréhender de manière différente ?


Notre rituel et notre travail symbolique sont là pour ça. Progressivement, par la répétition et la réflexion, une transformation profonde doit s'opérer en nous. Mais cela n'est pas si simple. En effet, à l’image de ce qu’est devenue notre société occidentale, nous travaillons surtout sur le plan intellectuel, et ce qui demeure à l'état de conceptions mentales ne devient pas forcément opératif en nous. JP Schnetzler parlait de l’importance de « vivre pleinement » le rituel.


Revenons à l'octuple sentier et intéressons nous plus spécialement aux prescriptions 7 et 8 qui sont liées à la méditation.

La 7eme prescription, c'est l’attention droite, soit une réelle capacité à être présent à ce que l’on fait, la présence de l’esprit au corps, aux émotions, aux pensées, au formations mentales. L'entraînement à cette attention droite passe par la posture qui est le pilier de la méditation. Lama Teunsang explique: La posture du corps purifie les 5 poisons : La position des jambes purifie la jalousie. Celle des mains l'émotion et la colère. Les épaules : l'opacité mentale. Le menton, le désir et l'attachement. Le regard : l'orgueil. Dans cette perspective, la posture retrouve sa véritable importance. Pour nous il s’agit de demeurer consciemment assis.es en équerre, les pieds à plat, les mains sur les genoux, le dos droit dans la mesure du possible. C’est, lorsque nous passons à la verticale au moment d'une prise de parole, ressentir la position de la main droite qui tempère nos propos ( les mains= l’émotion et la colère) . L'attention à ma posture me permet aussi de me rendre compte quand mon esprit vagabonde et de ramener mon attention ici et maintenant, dans la loge. La méditation m’a donc fait prendre conscience de l'influence de la posture du corps sur l'esprit.

La 8eme prescription, la concentration droite, va encore plus loin en proposant des techniques méditatives efficaces, comme la pratique du calme intérieur. Quand j'étais apprentie j'ai accueilli le silence avec soulagement car il me donnait le temps d'assimiler sereinement le fonctionnement des tenues et les codes de prise de parole. Maintenant je comprends que le silence est surtout un moyen de discipliner mon esprit et de me libérer de mes passions. Le silence extérieur est propice au silence intérieur, lui-même nécessaire pour nous départir de nos métaux et donner vie à l’égrégore de la tenue. D’ailleurs, au début de notre rituel de réception au 1er grade, le temple est appelé « lieu de méditation » « promettez-nous de ne jamais rien dire sur ce que vous avez vu et entendu depuis que vous avez été introduite dans le lieu de méditation ». Ensuite l’impétrante est appelée encore deux fois à méditer : quand elle reçoit la petite lumière : « qu'elle voie et qu'elle médite ». puis après que lui soit donnée « la grande lumière » et que son attention ait été portée sur le Delta lumineux : « Médite ces premiers enseignements »


Là où le bouddhisme m'aide, c'est qu'il apporte des moyens concrets de discipliner l’esprit. Au-delà de la posture, il donne des multitudes de « recettes ». Ainsi, lorsque l'on commence à méditer régulièrement, petit à petit des réflexes s'installent, dépassant le cadre du coussin, dans notre vie de tous les jours. L’esprit peut se comparer à de l'eau. Des tas de pensées l'agitent constamment, comme des courants qui mélangent l'eau et la vase. Sous leur effet l’eau se trouble, on ne discerne plus rien et ce sont nos émotions qui dictent notre conduite. Apprendre à méditer, c'est laisser s'apaiser ces courants, et la vase retombe naturellement au fond de l'eau, qui redevient limpide et que la lumière peut alors traverser. Notre esprit de moins en moins perturbé, se débarrasse progressivement de ses peurs, de ses désirs et de ses réflexes conditionnés, c’est à dire de ses métaux. Il est plus attentif, il s'ouvre sur les autres, et porte un regard bienveillant sur le monde.


Ainsi, adopter autant que possible cette attitude méditative tout au long de la tenue, œuvre sans aucun doute à rendre opérative la maçonnerie spéculative, car cela contribue à la sortir du champ intellectuel pour nous la faire vivre dans tout notre être.

La FM, avec sa manière si particulière de s'approprier les symboles et les outils, m'aide en contrepartie à garder un regard lucide sur ma démarche bouddhiste, à tenter d'en décrypter les symboles, et à mettre « sans relâche » à l’épreuve de la pratique et de l'analyse les enseignements du Bouddha. Ainsi, entre Orient et Occident je trouve mon équilibre, grâce aux deux je me lève et j'avance en femme « libre et de bonnes bonnes mœurs ».

J’ai dit,

Corinne CAS.




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