Quiconque aura vu le documentaire diffusé sur Arte intitulé « Bouddhisme la loi du silence » ne pourra qu’être choqué de qui a été révélé.
En tant que Francs-maçons Bouddhistes et sympathisants Bouddhistes, il nous appartient de rappeler un certain nombre de principes sur lesquels nous ne transigerons jamais (I).
Néanmoins la nature humaine étant ce qu’elle est (et probablement dans une phase d’immaturité de son évolution), rappelons que la voie Bouddhiste n’est pas une voie idéaliste mais réaliste, et un certain nombre de nuances sont à apporter pour tempérer une condamnation par trop tranchante en cédant aux facilités de la curée.(II)
I - Principes
Les principes maçonniques sont connus : la maçonnerie est une voie philosophique, philanthropique et humaniste ; ses travaux visent à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité. Ses outils sont la liberté absolue de conscience, le respect des autres et de soi-même, la tolérance mutuelle. Elle se veut édificatrice de la Concorde Universelle et la « réunion des hautes valeurs morales qui sans elle auraient continué de s’ignorer » pour être le centre de l’union ; il y est affirmé qu’il s’agit de « vaincre ses passions ».
On conçoit donc aisément que les dérives utilement rapportées dans ce documentaire soient condamnées avec fermeté et sans ambiguïté par les Francs-maçons que nous sommes.
Tous les phénomènes d’emprise du psychisme d’autrui, de manipulation à des fins d’abus sexuels ou financiers n’ont pas cours en franc-Maçonnerie. La Franc-Maçonnerie n’est pas une secte (dans une secte il est facile d’y rentrer et difficile d’en sortir, chez nous c’est le contraire). Celle-ci a pourtant dans son histoire connu des dérives (encore récemment des membres d’une loge maçonnique ont mis un contrat sur la tête d’un concurrent sur fond d’officine barbouze) ; les institutions maçonniques ont le devoir (et elles le font) de couper ces branches pourries. Précisons que ces dérives qui relèvent de ce qu’il y a de plus vil sont heureusement extrêmement minoritaires.
Du point de vue Bouddhiste, le constat est le même (rappelons que notre association a été fondée sur l’évidence des nombreuses convergences entre ces deux voies) : le Bouddhisme est une voie spirituelle adogmatique qui vise par une pratique (méditation et suivi d’enseignements) à une amélioration des relations humaines, une élévation du niveau de conscience (voie d’éveil : qu’est ce qui obstrue notre vision claire des choses ?) ; c’est une sotériologie et une voie active de cessation des souffrances.
Ici un certain nombre (mais au fond relativement peu) de ses représentants dans la branche tibétaine ont semé des graines de souffrance au mépris de leurs engagements, chez les victimes des faits dénoncés qui sont de nature délictuelle voire criminelle.
L’indécence semble atteinte (ce qui légitimerait le titre de ce documentaire) dès lors que le représentant spirituel d’une de ses branches, le Dalaï lama figure incontestée et prix Nobel de la paix, après avoir condamné verbalement les actes de Mr Spatz, s’est étonnamment abstenu de le « crier »(comme l’avait pourtant annoncé) par écrit (ce qui était demandé par les victimes dans un cadre judiciaire), ce à quoi il a ensuite malheureusement renoncé en restant mutique à toutes les demandes publiques de condamnation. Singulière attitude qui déconsidère dans le grand public le Bouddhisme dans son entier en raison de l’aura de l’intéressé dont on comprend qu’elle aurait une origine de gratitude pour le donateur incriminé (Mr Spatz aurait financé des institutions à Dharamsala).
II Nuances
Le titre même du documentaire est critiquable « Bouddhisme la loi du silence ». Encore une église qui tait ses dérives à l’instar de certains papes ou cardinaux couvrant des prêtres pédophiles. Comme si le « Bouddhisme » dans son entier était complice de ces abjections et se résumait à cette hypocrisie.
Non.
Tous les Bouddhistes ne peuvent que condamner et le communiqué de Mathieu Ricard (https://www.matthieuricard.org/blogposts/au-sujet-du-film-bouddhisme-la-loi-du-silence-diffuse-sur-arte) est sur ce point sans ambage.
Il est néanmoins difficile de comprendre pourquoi il a avec son avocat refusé que soit diffusées les deux heures d’entretien qu’il dit avoir eues avec les journalistes de ce documentaire.
Rappelons sur ce même sujet, la création par l’UBF d’une commission éthique pour travailler sur les modes de prévention de ces dérives.
Dans l’école du zen (qui est aussi une branche du Bouddhisme, Dogen rapporte l’histoire suivante :
-« Maître, comment puis je mettre fin aux passions qui m’assaillent ?
- Si tu cherches par l’intention à y mettre fin, cela n’aura pas d’autre effet que de multiplier par deux tes passions ».
Attention à l’interprétation complaisante de ce koan.
Une condamnation si elle est nécessaire n’est pas suffisante. Elle maintient la dualité. Une justice réparatrice (à l’exemple des réconciliations post apartheid) est autrement plus opérative et constructive. Les voies d’un réel et sincère «travail sur soi» (quelle est sa nature?) sont à mettre en œuvre. Quand la baignoire déborde, le fou passe la serpillière, le sage ferme le robinet.
A la façon du serment d’Hippocrate, la liberté de l’éveil (qui peut être protéiforme) est de d’abord ne jamais nuire et pratiquer la voie du miracle absolu de Nagarjuna : se mettre à la place de l’autre.
Beaucoup de scandales sexuels (y compris dans le monde politique) trouvent le même schéma : s’approcher par tous les moyens au plus près du « modèle », de la « star », du « maître » ; or tout cela est illusion. Le véritable maître n’est pas concerné par le star-système, ce que le Bouddha historique énonce par la formule « Soyez votre propre lampe ». Sans tomber dans l’excès stupide de « il n’y a pas de victimes innocentes », dans nombre de situations favorisant les abus, les prédateurs reniflent cette appétence à la proximité de la « star ».
Et pourtant le Bouddhisme a instauré très tôt des balises de comportement sous la forme des préceptes : respect de la vie, du bien d’autrui, de l’intégrité d’autrui, de la vérité, de l’intégrité de l’esprit, de la dignité, de l’humilité, du partage, de la paix et des 3 « trésors » que sont l’être éveillé, la communauté de pratique et la loi de la réalité.
Un mot sur les épisodes évoqués dans ce documentaire du Bouddhisme dit « tantrique » et des « daikinis » avec des pratiques qui prêtent pour un regard extérieur à une forme de scepticisme, alors qu’une union parfaite entre deux adultes consentants peut conduire à l’éveil. On comprend néanmoins qu’il faille un long chemin de pratique pour cette voie et que surtout les « maîtres » ne versent pas dans la rigole de l’abus et dans l’absence de consentement par des moyens prétendument « habiles » et en particulier avec des mineurs dont le consentement est par nature non présumé.
Il faut saluer ce documentaire. C’est par l’exercice de la transparence, de la vérité, de la compréhension profonde et de l’action juste que le monde pourra peut-être se porter mieux.
Le 15 septembre 2022
Jean-Marc BAZY
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