FRANC-MAÇONNERIE
ET
BOUDDHISME[1]
Contrairement à ce que l’on croit souvent, la spiritualité ne se limite aucunement à la sphère religieuse. À preuve, les diverses formes de verticalités qui, bien que ne se référant à aucun dieu, ni à aucune transcendance, n’en élèvent pas moins l’esprit et n’en visent pas moins à améliorer l’Homme[1]. Il s’agit là, en général, de voies se proposant d’aider chacun à donner du sens à son existence ou encore de traditions favorisant une authentique construction de soi et cela, on l’aura compris, en dehors de toute institution religieuse.
Parmi ces spiritualités, que l’on pourrait qualifier d’immanentes, figure la franc-maçonnerie adogmatique et libérale. En effet, si par spiritualité, on entend tout ce qui nourrit la vie de l’esprit, par opposition à ce qui est matériel, alors il ne fait aucun doute que cette franc-maçonnerie a tout d’un cheminement spirituel. Ne propose-t-elle pas à ses membres d’apprendre -au contact d’autrui - à mieux se connaître, de travailler à s’améliorer, de donner du sens -soit une direction et une signification - à leur existence ? Seulement, il s’agit d’une voie spirituelle exempte de toute teinture religieuse. Il y a bien du sacré, des rites, des rituels, des mythes, des symboles, mais point de dogmes ou bien encore d’Églises.
On l’aura compris, cette franc-maçonnerie se veut une spiritualité à proprement parler laïque. En revanche, le franc-maçon est tout à fait libre, à titre personnel, d’adhérer à une religion. Rappelons, en guise d’illustration, ce que le Président d’une Loge du Grand Orient de France déclare au nouveau venu, lors de la cérémonie de réception :« Le Grand Orient de France n’admet aucune limite à la liberté d’esprit, à la liberté de conscience. Précisons que chacun de nous a le droit de croire à une intelligence qui régit le monde, ou de n’y pas croire ; que chacun de nous peut croire à un dieu créateur (que certains francs-maçons appellent Grand Architecte de l’Univers), ou de n’y pas croire ; que chacun peut pratiquer une religion, ou n’en pratiquer aucune (…). Parmi nous, votre personnalité sera parfaitement libre de son épanouissement. Vos opinions et croyances seront parfaitement respectées. Vous aurez, évidemment, l’impérieuse obligation de respecter celles des autres » (Rituel d’initiation au 1er grade symbolique, 2011).
Il va sans dire que, de la même façon que les religions n’ont pas le monopole du sacré et de la spiritualité, la franc-maçonnerie n’est en rien l’unique voie spirituelle laïque. D’autres traditions laïques à visée spirituelle existent. Or, interrogé(e)s à ce propos, la plupart des Sœurs et des Frères citent immanquablement, et sans hésiter le moins du monde, le bouddhisme.
Autrefois méconnu, le bouddhisme, depuis l’arrivée en France de guides spirituels asiatiques (au début des années 1970), tend à devenir familier. Qui n’a pas aujourd’hui dans sa famille, ou parmi ses proches, une personne qui se déclare bouddhiste ? Qui ne s’est pas essayé à telle ou telle méditation bouddhique, comme le Zen, ou la Pleine Conscience, par exemple ? Qui n’a pas lu un livre du style Bouddha, sa vie et sa doctrine, vu des reportages sur des pays où l’on pratique le bouddhisme, regardé sur France 2 l’émission du dimanche matin consacrée aux différentes traditions bouddhiques, visité un conventicule, près de chez soi ?
Dès son implantation en France, le bouddhisme a intéressé, voire séduit, les francs-maçons. Ayant moi-même embrassé la forme tibétaine du bouddhisme à l’âge de treize ans, je me suis vite aperçu que les fondateurs des premiers et des plus importants Centres de pratique du bouddhisme tibétain étaient, pour la plupart, des francs-maçons.
En 1993, un premier colloque sur Bouddhisme et Franc-maçonnerie se déroula en Savoie, à l’initiative de l’Institut bouddhique Karma Ling[2]. Par la suite, des rencontres régulières furent organisées. Entre-temps fut fondée une fraternelle destinée à réunir les francs-maçons bouddhistes : «L’acacia et le lotus », devenu, en 2007, «Les Compagnons du Dharma», dont le but n’est autre que de « réunir les Bouddhistes Francs-maçons afin d’étudier, approfondir et conjuguer les convergences entre ces deux spiritualités ; œuvrer à l’émergence d’un Orient Bouddhiste en Occident » (Déclaration à la Préfecture du Rhône).
N’en déplaise à Jean Mourgues qui, semble-t-il, ne comprenait pas pourquoi beaucoup de ses contemporains, au lieu de se tourner en direction de l’institution maçonnique, s’initiaient aux traditions d’Extrême-Orient[3], non seulement nombre de Français sont effectivement attirés par des traditions venues d’ailleurs, mais qui plus est des Français francs-ma
çons.
Cabinet de Réflexion maçonnico-bouddhique
Il est vrai qu’il existe de nombreux points communs entre les deux quêtes spirituelles[1]. Citons, en guise d’exemples :
L’idée de perfectibilité. En effet, un pratiquant bouddhiste, comme un franc-maçon, part du principe qu’il est possible de s’améliorer. Avec cette différence toutefois que, dans un cas, le travail sur soi se fait plutôt en solitaire (malgré la présence d’un guide spirituel) et dans l’autre, en groupe.
Pour leur part, les enfants du Bouddha sont convaincus que tout Homme porte en lui les germes de la Sagesse. Selon leur point de vue, chacun détiendrait, enfoui en lui, les qualités de la profonde Sagesse, qualités qui ne demanderaient qu’à éclore. Malheureusement, ce trésor de vertus demeurerait, bien souvent, comme enseveli tant sont multiples les voiles qui le recouvrent. Ces derniers ont pour noms : haine, avidité, ignorance, colère, jalousie, etc. Si bien qu’il conviendrait moins d’ajouter quoi que ce soit, pour mettre à jour la Perfection, que d’écarter ces voiles obscurcissants.
Voilà qui parle au franc-maçon habitué à dégrossir, tailler et polir sa pierre brute, soit à travailler sur lui-même. Désireux de progresser moralement et spirituellement, l’initié sait qu’il ne peut compter que sur lui-même–même si la présence des autres lui est indispensable pour s’améliorer, mais aussi et surtout, que son travail ne consiste pas tant à acquérir telle ou telle qualité, vu qu’elle est toujours déjà-là de toute antiquité, qu’à se débarrasser de ses défauts.
La franc-maçonnerie libérale a une vocation universaliste. Elle propose une forme de spiritualité non transcendante pouvant convenir à des croyants comme à des non-croyants ainsi que des valeurs humanistes qui, si elles ne sont pas universelles, en fait, n’en restent peut-être pas moins « universalisables », en droit. Par ailleurs, elle considère que ses méthodes et les outils qu’elle offre facilitent le travail intérieur, moral, intellectuel et spirituel de tout un chacun, et ce quelle que soit sa culture.
Le bouddhisme, lui aussi, s’adresse à tout Homme. Point besoin, par conséquent, d’être indien ou d’avoir les yeux bridés pour être bouddhiste. Née en Inde, au VIème siècle avant notre ère, la pratique du bouddhisme s’est répandue dans toute l’Asie avant de gagner, au XXème siècle, l’Europe et les États-Unis du fait de l'émigration de populations venues d'Asie ainsi que de l'intérêt manifesté par quelques Occidentaux.
L’absence de dogme et de vérité révélée. Il n'existe pas, à proprement parler, un corps de croyances unifiées propres au bouddhisme, pas plus qu’au sein de la franc-maçonnerie libérale. En témoigne, du reste, la multiplicité des écoles et des obédiences.
Et la réincarnation pourrait-on objecter ? D’abord, il faut savoir que les bouddhistes ne parlent jamais de réincarnation, mais de renaissances. Avons-nous affaire à un dogme ? Il est vrai que les renaissances que connaîtrait tout vivant ne correspondent ni à une vérité de fait, ni à une vérité démontrée, ni à une vérité prouvée. Toutefois, aucune école bouddhique n’impose d’y souscrire, chacun étant libre d’adhérer ou non à pareille conception de la vie et de la mort. Aussi la renaissance est-elle davantage une croyance (libre choix) qu’un dogme (croyance obligatoire). Ayant, pour ma part, renoncé à toute forme de croyance religieuse, je ne saurais adhérer à l‘idée de renaissance. Malgré cela, des religieux tibétains, qui eux approuvent cette idée, n’hésitent pas à me solliciter pour enseigner l’histoire et la pratique du bouddhisme.
Une éthique assez proche avec, côté bouddhisme, la bienveillance comme vertu cardinale et, côté franc-maçonnerie, la fraternité ainsi que la solidarité. A quoi s’ajoutent, en pays bouddhiques, trois poisons principaux ou émotions perturbatrices (avidité, colère, opacité du mental) et, en terrain maçonnique, ignorance, hypocrisie et fanatisme auxquels se voient opposer travail, loyauté et tolérance.
Une vision similaire du don, du moins entre la franc-maçonnerie et le bouddhisme tardif dit du Grand Véhicule, qui a toujours refusé de voir dans la vocation monastique la vie bouddhique parfaite. Car s’il est un lieu où, à mes yeux, on s’adonne au don et où chacun n’a de cesse que d’offrir, c’est bien à l’intérieur d’un Temple maçonnique. D’aucun(e)s parmi les plus pessimistes diront peut-être qu’ils, ou elles, n’ont rien à offrir ! Et pourtant, est-ce si sûr ? Car si l’on a ne serait-ce qu’un sourire à prodiguer, n’hésitons pas à en gratifier nos Sœurs et nos Frères ; si l’on dispose d’un peu de temps, ne reculons pas à leur en accorder ; si l’on a de bons conseils à prodiguer, ne nous en privons pas ; si l’on a de la joie dans notre cœur, ne nous gênons pas pour la partager avec eux ; si l’on a de bonnes idées, ne différons pas de leur en faire profiter, etc.
D’ailleurs, n’est-ce pas ce que rappelle, à sa façon, la chaîne d’union fraternelle ? Peu de temps avant minuit. Les pieds en équerre bien ancrés dans le sol, Frères et Sœurs forment la chaîne d’union. Les bras sont croisés à la hauteur du plexus solaire. Le bras droit sur le bras gauche, la main droite de chaque Frère, ou de chaque Sœur, au-dessus de la main gauche de son voisin, ou de sa voisine. Les mains sont nues. La main gauche est en supination (paume vers le ciel) et la droite, par-dessus, en pronation (paume vers le sol) comme lors de la batterie. D’un côté, donc, la main gauche reçoit, tandis qu’immédiatement, la droite redonne. À peine reçu et voilà que le donné est aussitôt redonné ! Les avant-bras entrelacés, on ne sait plus à qui appartiennent tel avant-bras et telle main. En fait, tout a lieu comme s’il n’y avait plus ni toi ni moi. Chacun n’est plus alors qu’un passeur ou un conducteur. Un simple maillon transmetteur, bref un lac d’Amour, semblable à ceux qui ornent la houppe dentelée, ou corde à nœuds[2].
En ce qui concerne le bouddhisme du Grand Véhicule, on y trouve le même genre de don totalement gratuit. En effet, l’adepte est censé donner tout en ayant à l’esprit que personne ne donne, rien n’est donné et que nul ne reçoit. Proféré autrement : pour que le don soit parfait, il ne doit y avoir ni moi, ni toi, ni objet[3].
Mais aussi, un souci identique de l’égalité. Il faut savoir que le Bouddha a eu des disciples de toutes castes et de toutes conditions. Semblablement, la franc-maçonnerie d’Ancien Régime a admis en son sein et, sur un pied d’égalité, des individus de la noblesse, du clergé, comme du tiers-état.
En outre, le Bouddhisme, surtout dans sa version tantrique[4], à l’instar de la franc-maçonnerie, est un courant initiatique. Or, l’initiation y est vue, des deux côtés, comme une graine placée dans le cœur du néophyte. Personne ne pouvant effectuer le travail intérieur à sa place, c’est à lui qu’il revient de fournir les efforts indispensables à son amélioration. En cela, l’initiation n’est jamais acquise, la cérémonie, au cours de laquelle celle-ci est conférée, constituant juste le point de départ d’un long cheminement.
Dans le cas d’une initiation tantrique, il s‘agit, le plus fréquemment, d’une cérémonie liée à une déité. En fait, on est initié à la pratique de telle ou telle déité. Il faut savoir qu’au Vème siècle existait un courant en Inde du nom Tantrisme[5]. Partant du principe que nous sommes tous parfaits au moins virtuellement, que nous avons tous, en nous, les qualités d’un Bouddha (bienveillance, joie, pureté, sagesse, énergie…), c’est-à-dire de quelqu’un de parfait, l’une des originalités de cette école fut de lister lesdites qualités d’un Bouddha. Puis, de les matérialiser sous la forme de déités, déités purement allégoriques qui, bien sûr, n’ont aucune existence réelle. Outre un aspect extérieur renvoyant à la vertu qu’elle incarne, chaque déité se vit conférer un mantra et un mandala.
Un mantra est une phrase sanskrite, dénuée de sens, qui est comme la parole de la déité et qui est supposée contenir, sous forme sonore, la vertu que figure la déité. Presque tout le monde connaît, par exemple, le mantra de la déité de la bienveillance (Avalokiteshvara) que récitent, à longueur de journée, les Tibétains : Om mani pémé houng.
[1] Consulter, à ce propos, notre Bouddhisme et Franc-Maçonnerie, éd. L’Harmattan, Paris, 2018. [2] Cf. La Lettre des Compagnons du Dharma d’avril 2020 ainsi que Don bouddhique et Chaîne d’Union maçonnique in Critica Masonica, Vol. 5/1, n° 9, février 2017, Paris. [3] Voir, à ce sujet, notre article intitulé Le 26° du REAA ou Prince de Mercy. Une lecture bouddhiste in Critica Masonica, Vol. 2/1, n°3, janvier 2014, pp. 85-91. [4] Les Tantras sont des textes censés contenir les instructions les plus ésotériques du Bouddha. De l’école tantrique n’existe plus aujourd’hui que deux versions : le bouddhisme tibétain et le bouddhisme japonais Shingon. [5] C’est la date des premiers Tantras, ou textes de cette école, mais l’on peut supposer que le courant tantrique existait bien avant, mais ne se transmettait qu’oralement.
Mantra de 6 syllabes d’Avalokiteshvara
Par ailleurs, à chaque déité fut attribué un espace particulier, une Terre de diamant, ou un Champ pur, n’ayant aucune existence réelle et ne pouvant être localisée où que ce soit. Un mandala correspond donc à la figuration du territoire d’une déité. En sanskrit, mandala signifie disque, cercle. Cela vient du fait qu’un mandala est invariablement formé de cercles concentriques inscrits dans un carré. Au centre du mandala se trouve un palais et au centre de celui-ci trône la déité ou la syllabe-germe, censée en contenir l’essence (Exemple : la syllabe Hrih pour Avalokiteshvara).
Mandala d’Avalokiteshvara
Le pratiquant s’identifie alors à la déité de son choix, récite mentalement, ou à voix haute, son mantra et imagine que le lieu où il se trouve n’est autre que le mandala de sa déité, le tout à dessein de développer, au maximum, la qualité que celle-ci incarne. Il s’imagine donc, toute la journée durant, sous l’aspect extérieur de la déité. Quant à sa disposition mentale, il essaie, autant que faire se peut, d’incarner la vertu dont elle est la personnification. On a beau, par exemple, se dire chaque matin : « Aujourd’hui, je vais fournir un effort pour me montrer patient », dès qu’on se trouve dans des embouteillages, nos bonnes intentions sont déjà loin et on piaffe d’impatience. Par-là s’explique qu’il faille s’habituer à s’identifier à une déité et à la qualité qu’elle représente. Pourquoi à une seule déité et ne développer que l’une de nos ressources intérieures, pourrait-on se demander. Parce qu’actualiser l’une de nos potentialités suffit amplement vu que les vertus sont solidaires et s’impliquent mutuellement. Qui est parfaitement compatissant, par exemple, sera nécessairement patient, pur, altruiste, énergique, etc. Il suffit donc de porter à son maximum une seule qualité pour que toutes les autres suivent.
S’identifier à telle ou telle déité nécessite que l’on ait reçu l’initiation de celle-ci. La cérémonie doit impérativement être effectuée par un guide spirituel compétent. Elle comprend quatre étapes : l’initiation dite du Vase, l’initiation Secrète, l’initiation de la Connaissance-Sagesse et, enfin, l’initiation du mot précieux.
La première purifie symboliquement le corps de l’adepte et lui transmet l’autorisation de se visualiser sous la forme physique de la déité à laquelle il est initié.
La deuxième élimine les fautes commises par le biais de la parole (mensonge, médisance…) et permet de réciter le mantra de la déité. Bénédiction est ici donnée à la parole du pratiquant afin que celle-ci ne prononce plus que des mots de Sagesse et de Vérité.
La troisième efface les empreintes laissées par les activités négatives de l’esprit et met en état de réaliser l'esprit (ou la vertu) pleinement éveillé de la déité.
La dernière délivre simultanément de toutes les souillures liées au corps, à la parole et à l’esprit. Elle consiste à montrer, à l’aide de symboles (cristal, miroir, etc.), expliqués en peu de mots, la perfection de l’impétrant.
Outre ce type de rituel, il existe également de Grandes Initiations sur plusieurs jours, au cours desquelles est présenté, en détail, le mandala de la déité.
En revanche, dans un cas comme dans l’autre, l’initiation se voulant une entrée dans, celle-ci ne fait que marquer le début d'un processus évolutif supposé aboutir, un jour, à l'Éveil complet.
Au surplus, il y a utilisation de symboles en franc-maçonnerie, comme à l’intérieur du bouddhisme, surtout sous son aspect tantrique.
Chaque déité a été dotée d’une forme propre qui ne doit rien au hasard. Si je prends, par exemple, la déité masculine de la compassion (sanskrit : Avalokiteshvara), celle-ci est fréquemment représentée de couleur blanche, dotée de quatre bras et d’un seul visage.
Son corps est blanc, car Avalokiteshvara a vaincu les trois émotions perturbatrices principales (avidité, colère, opacité du mental). Ses quatre bras renvoient aux quatre qualités majeures d’un Bouddha, soit de quelqu’un de parfait : l’amour, la bienveillance, la joie et l’impartialité. Ses deux premières mains sont jointes et portent un joyau qui satisfait tous les besoins, ce qui montre qu'il n’a d’autre but que d’aider les vivants. Ses deux autres mains tiennent à droite un rosaire de cristal signe qu'il est toujours en train de formuler des souhaits et de réciter des formules d'amour et de paix pour le bien des vivants et à gauche un lotus blanc, symbole de compassion. Assis en posture de diamant, sa jambe gauche évoque la Connaissance imprégnée de Sagesse et sa droite les Moyens efficaces à mettre en œuvre pour actualiser la Perfection. La peau de biche qui drape son épaule gauche manifeste sa douceur. Le fait qu’il soit adossé à une pleine lune immaculée signale qu’amour et bienveillance ont atteint, en lui, leur plénitude. Les treize ornements qu’il porte (les deux rubans pendants de chaque côté de sa couronne, le long châle qui contourne ses bras, la robe supérieure qui recouvre ses épaules, la robe inférieure extérieure, la robe inférieure intérieure, la couronne aux cinq pierres précieuses, les boucles d'oreille, le collier au ras du cou, le long collier, les brassards, les bracelets, la ceinture et les bracelets aux chevilles), le disque lunaire et la fleur de lotus sur lesquels il est assis, sont, eux aussi, des manifestations visibles de la richesse de ses qualités, notamment de sa bienveillance…
Statue d’Avalokiteshvara
J’arrête là les rapprochements entre franc-maçonnerie libérale et bouddhisme. Indiscutablement, il est des points communs. Mieux : ces deux voies spirituelles s’additionnent et ce ne sont probablement pas les lecteurs de La Lettre des Compagnons du Dharma qui me contrediront. A ceci près, toutefois, que s’il existe des similitudes, il serait, erroné de vouloir gommer leurs différences.
D’abord, parce que les moyens mis en œuvre sont dissemblables. D’un côté, nous trouvons des méditations en tant que travail solitaire sur soi et de l’autre des échanges avec autrui, encadrés par un rituel et tournant majoritairement autour de travaux sur le symbolisme. Même si la démarche du franc-maçon se conçoit d’abord comme individuelle, elle prend principalement forme au contact d’autrui. Sans travail en loge, il n’y aurait pas de franc-maçonnerie. Le cheminement initiatique maçonnique suppose autrui et cela davantage que dans le bouddhisme. J’en conviens, un moine bouddhiste est sans cesse confronté à ses coreligionnaires qui cherchent, tout comme lui, à s’améliorer. Vu ainsi, un monastère peut ressembler à une loge, puisque, dans les deux cas, on trouve des Hommes de bonne volonté décidés à se parfaire. Et cela tombe bien, car dans un monastère -comme dans un atelier maçonnique - nombreuses sont les occasions de se débarrasser de sa croyance en un ego autre qu’empirique. En outre, il y a souvent aussi confrontation d’idées au sein d’un conventicule. Il suffit, en guise d’illustration, de songer aux joutes oratoires des moines tibétains de l’école Guéloug. Et puis, on n’est pas seul, car on est conseillé par un guide spirituel. Il n’en demeure pas moins que la voie bouddhique se parcourt davantage en solitaire que la maçonnique.
Autre différence : la grande distance qui sépare initiations et rituels maçonniques des initiations et des rituels bouddhiques.
Mais aussi, et principalement, le fait que le bouddhisme soit, sans l’ombre d’un doute, une religion et non un courant spirituel laïc. Certes, on a affaire, avec le bouddhisme, à une religion d’un type un peu particulier, car dénué de dieu(x) et libre de tout dogme. Il n’empêche qu’il s’agit bien d’une religion. Suffit, pour s’en convaincre, de songer à ses temples, ses autels, ses objets sacrés, ses moines et ses moniales… J’en conviens, le bouddhisme est une spiritualité assez particulière, au point que certains n’ont pas hésité à décréter que le bouddhisme est davantage une philosophie qu’une religion. Mais, c’est là commettre une erreur, comme j’ai essayé de le montrer dans Le bouddhisme : philosophie ou religion ?[1]
Lorsque, dans les années 1970, le moine zen japonais Taisen Deshimaru (1914-1982) a commencé à transmettre, en France, la pratique du bouddhisme Zen Sôtô et que des Lamas tibétains ont divulgué leurs premiers enseignements, on sortait tout juste de mai 68 et on était en plein rejet des valeurs traditionnelles, notamment celles véhiculées par la culture chrétienne. Conséquemment, se tourner vers des pratiques et des rituels religieux ne pouvait qu’être mal vu. D’où l’intérêt, dans ces conditions, de qualifier le bouddhisme de philosophie et de nier son caractère religieux. Ainsi les jeunes soixante-huitards purent-ils pratiquer le bouddhisme sans culpabiliser le moins du monde.
Pour ma part, j’ai commencé mon apprentissage du bouddhisme lorsque j’étais adolescent et j’ai été créée franc-maçon à l’âge de 31 ans, dans une loge normande du Grand Orient de France. Bouddhisme et franc-maçonnerie sont devenus, pour moi, indissociables tant leur complémentarité contribue à faire de moi un Homme debout.
Christophe RICHARD
[1] Ed. L’Harmattan, coll. « Religions & Spiritualités », Paris, 2010.
[1] Article modifié paru initialement dans la revue Franc-maçonnerie et Bouddhisme in Critica Masonica, Vol. 4/2, n° 8, mai 2016, Paris, pp. 117-126.
[2] Au sujet de la franc-maçonnerie et de la spiritualité, on ne saurait que trop recommander la lecture de La Chaîne d’Union, Spiritualités en débat, n° 95, janvier 2021, Paris.
[3]Cf. Bouddhisme et franc-maçonnerie, éd. Albin Michel, coll. Question de, n° 101, Paris, 1995.
[4]La pensée maçonnique. « Une sagesse pour l’Occident », éd. Presses Universitaires de France, coll. Politique d’aujourd’hui, Paris 1988.
[5] Consulter, à ce propos, notre Bouddhisme et Franc-Maçonnerie, éd. L’Harmattan, Paris, 2018.
[6] Cf. La Lettre des Compagnons du Dharma d’avril 2020 ainsi que Don bouddhique et Chaîne d’Union maçonnique in Critica Masonica, Vol. 5/1, n° 9, février 2017, Paris.
[7] Voir, à ce sujet, notre article intitulé Le 26° du REAA ou Prince de Mercy. Une lecture bouddhiste in Critica Masonica, Vol. 2/1, n°3, janvier 2014, pp. 85-91.
[8] Les Tantras sont des textes censés contenir les instructions les plus ésotériques du Bouddha. De l’école tantrique n’existe plus aujourd’hui que deux versions : le bouddhisme tibétain et le bouddhisme japonais Shingon.
[9] C’est la date des premiers Tantras, ou textes de cette école, mais l’on peut supposer que le courant tantrique existait bien avant, mais ne se transmettait qu’oralement.
[10] Ed. L’Harmattan, coll. « Religions & Spiritualités », Paris, 2010.
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